A l’autre bout de la salle, Miiko darda sur elle un regard glacé. Nati sourit. Son partenaire la lâcha et, comme l’exigeait la danse, elle tourna sur elle-même – un, deux, trois, quatre, un... – et posa sa paume contre celle de l’homme sur sa gauche. — Vous êtes superbe, lui dit-il quand il avança d’un pas. Elle rit en virevoltant sous son impulsion. Quand elle avait reçu son carton d’invitation, c’était avec un avertissement à l’encre rouge au dos : je ne peux pas refuser de t’inviter, mais crois bien que je le souhaiterais. Tiens-toi, fais honneur à la Garde et habille-toi décemment. Cette réception est une mission! S’habiller décemment, ç’aurait été plus sage, oui – nombre d’officiers de la Garde avaient opté pour leurs uniformes d’apparat, un choix barbant mais raisonnable. Seulement, quel ennui ! Etait-ce un défilé militaire ou un bal ? Son nouveau partenaire posa une main sur sa hanche, un peu plus bas que ne l’exigeait la danse, et Nati inclina la tête en un geste d’interrogation. Vraiment, vous osez ? L’homme lui décocha un sourire assuré. Cette confiance en lui, c’était charmant, et il était bel homme ; Nati le laissa faire. — Si on me le permettait, je vous enlèverais sur-le-champ. Vous brillez d’un éclat plus vif que le Cristal. — Flatteur, répondit-elle. Je suis sûre que vous parlez ainsi à toutes les filles. — Allons, mademoiselle, ne faites pas semblant d’ignorer vos charmes… Ses charmes, il semblait désireux de les tâter de plus près. Nati ne pouvait le blâmer. Piquée au vif par le message à l’encre rouge, elle avait choisi dans son armoire une pièce qu’elle n’avait encore jamais portée hors de l’intimité. La robe coulait sur son corps comme une rivière noire qui prenait naissance contre la courbe de ses seins, se drapait autour de sa taille, se fendait au gué de sa hanche. Des joyaux cousus dans la soie scintillaient à chacun de ses mouvements, une galaxie de petites lunes reflétant les lanternes qui éclairaient la fête. Miiko avait serré les dents en la voyant. Nati avait ri. C’est vrai, elle avait désobéi aux ordres, sa robe s’accrochait à la décence par un fil, mais à quoi bon vivre si ce n’était que pour obéir ? Il fallait bien s’amuser un peu ! Et puis Miiko ne pouvait pas la renvoyer dans sa chambre comme une gamine impolie. On avait invité au bal les officiers les plus hauts-placés et les gardiens les mieux nés. Lunaticus, fille de la déesse lune, n’aurait pu s’absenter sans que leur invitée en prenne offense. Elle était d’ascendance trop noble, sa décision de rejoindre la Garde avait été trop publique. La souveraine du Deuxième Continent – car c’était en son honneur qu’on tenait la réception – s’attendrait à la croiser. Le rythme de la danse changea et quelques couples quittèrent le centre de la grande salle. Le bel inconnu avait gardé sa main contre le dos nu de Nati ; il y imposa une légère pression, comme une question. En réponse, elle lui sourit, consciente du rouge presque vulgaire de ses lèvres contre son visage pâle. Ensemble, ils avancèrent vers une des multiples sorties. Nati décompta à partir de dix. Elle était arrivée à trois quand un verre de vin apparut face à elle. — Capitaine, dit Nevra. Comptiez-vous vous enfuir avec le diamant d’Eel ? — Un emprunt, tout au plus, répondit l’homme – un capitaine, donc. Nati laissa ses yeux glisser sur les larges épaules de son cavalier. Oui, elle pouvait l’imaginer s’entraîner chaque jour pour maintenir son physique. — Seulement un emprunt ? Dans ce cas, en tant qu’ami, je ne peux vous le permettre. C’est que quand on goûte aux meilleurs crus, le vin ordinaire n’est plus qu’une triste piquette en comparaison... Faites-moi confiance, cette femme gâchera votre vie. Vous lui comparerez toutes celles qui suivront. — Par le saint Cristal, seigneur Nevra, c’est un risque que je suis prêt à prendre si la dame approuve… Il sembla alors se rendre compte que Nati n’était plus à ses côtés : elle avait attrapé le verre que Nevra lui tendait et s’était rangé à côté du vampire. Le capitaine soupira. — Navrée, monsieur, murmura-t-elle. — Je serai galant homme, dit-il. Mademoiselle, j’espère que vous me pardonnerez si je laisse mes rêves me montrer ce que la réalité me cache. Sans plus de honte, il baissa les yeux sur les courbes que la soie enlaçait. Nati sentit le poids familier du bras de Nevra s’enroulant autour de sa taille. L’officier poussa un dernier soupir, puis se détourna. Il n’avait pas menti, elle le savait : cette nuit, il rêverait d’elle, et la nuit d’après également. Dans dix ans encore, il s’imaginerait ce qui aurait pu advenir si Nevra n’avait interrompu leur marche vers la sortie. L’imagination, songea-t-elle en prenant une gorgée du vin sirupeux, était un aphrodisiaque plus puissant encore que la plus décadente de ses robes. — Lunaticus, Naticus, Nati, chantonna Nevra dans son oreille. Cherchais-tu à te dérober ? — J’avais quelques projets, admit-elle en posant son verre sur le plateau d’un domestique qui passait à côté d’eux. Mais par ta faute, je suis en manque d’un amant pour m’aider. — Toutes les dames du Deuxième Continent me réclament mais si cela me permet d'obtenir ton pardon, je peux leur faire faux bond pour les deux prochaines danses… Nati fit la moue. — Seulement deux danses ? susurra-t-elle en se pressant contre lui. — Hm… Peut-être un peu plus. La musique avait repris. Profitant de la distraction, il lui mordilla l’oreille. — A toi de me convaincre, ajouta-t-il dans un souffle.
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