Nevra haletait. Pétri d’angoisse comme jamais il ne l’avait été auparavant, le Vampire s’évertuait à atteindre le sommet de la montagne d’où retentissaient des hurlements déchirants.
« Moody ! »
Sa voix n’était plus qu’un mince filet étranglé. Les cris ne tarissaient pas et témoignaient d’une douleur insoutenable. Moody…elle avait besoin de lui. Elle était en danger.
Alors qu’il franchissait les derniers mètres le séparant du sommet, Nevra la vit. Allongée au sol, le corps se tordant de manière saccadée, se tenait sa fiancée.
« Moody ! s’écria une nouvelle fois le capitaine de l’Ombre, en s’élançant vers la jeune femme à l’agonie.
-Reste où tu es. »
Une longue et imposante lame tranchante vint lui barrer le chemin. Nevra détourna les yeux de son amante pour rencontrer un regard bleu clair aussi froid et mordant que la glace.
Lance.
S’il n’avait pas été aussi terrifié par l’état de Moody, Nevra se serait jeté sur lui pour le tailler en pièces. A la place, il serra les dents, révolté.
« Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire ! Elle a besoin de moi ! cracha le Vampire en cherchant à repousser la lame ennemie.
-Imbécile. Tu ne peux rien pour elle, rétorqua Lance d’un ton méprisant. »
Un nouveau hurlement empli de souffrance interrompit leur joute verbale. Moody convulsait au sol, une écume sanglante aux lèvres, son regard rendu aveugle par la douleur tourné vers l’astre lunaire comme pour le supplier d’abréger son tourment. Mais la lune, pleine et impassible, semblait la lorgner avec dédain. Un horrible craquement d’os brisés se fit entendre, ponctué d’un cri atroce.
« Qu’est-ce qu'il lui arrive ? souffla Nevra, les poings serrés. »
Il y avait forcément quelque chose à faire. Il ne comprenait pas pourquoi Lance ne bronchait pas, se contentant de fixer la jeune Ombre mourante d’un air impavide.
« Réponds-moi ! »
Le traître gratifia le Vampire d’un regard haineux.
« Elle se transforme. Voilà ce qu’il lui arrive.
-Quoi ? »
Nevra ne comprenait pas. Moody était en train de se transformer ? Mais en quoi ? Et pourquoi ?
Un ricanement acide le tira de ses interrogations.
« Ainsi donc, elle ne t’a rien dit ? Comme c’est amusant… »
Un nouveau craquement retentit, semblable à un coup de fouet, suivit par un bruit de déchirure. Un rugissement animal se fit entendre, attirant l’attention des deux faëliens.
Le corps de Moody se recouvrait d’écailles noires et ses mains auparavant fines et délicates n’étaient plus que deux pattes aux griffes acérées. Son visage s’allongeait, faisant craquer sa mâchoire et aplatissant son nez pour former une gueule grimaçante garnie de crocs redoutables. Dans un soubresaut écœurant, la jeune femme se retourna sur le ventre, dévoilant des omoplates rouges et gonflées. La peau se fendit soudainement, répandant des gerbes de sang tandis que deux longues membranes aux extrémités griffues se déployaient, terribles et magnifiques dans la clarté lunaire.
« Oui, c’est ça… »
Nevra détacha ses yeux du terrible spectacle pour observer Lance, qui contemplait la créature jadis femme avec avidité.
« C’est…
-Un dragon, oui. »
Stupéfait, le Vampire ne sut que dire. Devant lui, Moody –ou du moins ce qu’il en restait- achevait sa transformation. Un splendide dragon aux écailles anthracite se dressait, ses ailes immenses fouettant l’air de manière désordonnée. Un grondement rauque jaillit de sa gueule reptilienne alors qu’elle cherchait à se soulever, encore étourdie par la douleur. Titubante, elle se traîna jusqu’au bord de la falaise. Un élan de panique tira Nevra de sa torpeur.
« Non ! Moody ! »
Son cri n’eut que peu d’effet. La dragonne chuta par-dessus la falaise. A côté du Vampire, Lance avait lâché son épée. Il s’élança vers le bord de la montagne, bien plus rapide que Nevra. Sans hésiter, le traître sauta dans le vide à la suite de son amante. Puis plus rien.
Choqué et anéanti, Nevra contempla l’abîme pendant ce qu’il lui sembla une éternité. Le silence régnait, lourd et écrasant.
Et soudain, un rugissement inhumain fit trembler la montagne. Crevant les ténèbres abyssales, un majestueux dragon noir fusa vers le ciel, vers la lune comme pour la dévorer. A sa suite, un dragon aussi blanc que la neige jaillit à son tour, laissant éclater un hurlement victorieux.
Et sous le regard ébahi de Nevra, les deux dragons entamèrent une danse étrange autour de l’astre lunaire, silhouettes surréalistes nimbées de sa lumière fantomatique. A genoux dans la poussière, le Vampire laissa s’écouler des larmes de sang sous cette scène grandiose, simple spectateur de la renaissance d’une race que tous croyaient éteinte à jamais.
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